Alors que le 13 octobre 2012 est la journée internationale de la prévention des désastres consacrée aux femmes et à la résilience, je voulais revenir sur 3 femmes d’exception qui ont marqué ou façonnent encore la politique de prévention des risques majeurs de ces dernières années.
Mise en garde – Si vous êtes convaincu-e que les logiques de partis doivent primer sur les logiques de sécurité civile, je vous conseille de passer votre chemin car cet article abordera des personnalités politiques françaises de bords politiques différents sous l’angle de leurs actions dans le domaine de la prévention des risques majeurs et non sous celui une vision partisane. Je tiens aussi à préciser que je n’ai jamais eu de contacts directs ou indirects avec ces femmes politiques. Enfin, les vidéos présentées dans cet article reflètent une vision journalistique correspondant au traitement de l’information à une époque donnée, selon des connaissances données.
Ces grandes dames ont toutes eu le même objectif : concevoir les outils juridiques, institutionnels et politiques pour que nous soyons plus résilients face aux catastrophes naturelles et technologiques majeures. Alors que beaucoup de nos concitoyens ne croient plus en notre classe politique, elles sont le reflet d’engagements politiques forts au service de notre sécurité et de notre bien-être. Par choix de ligne éditoriale, je n’aborderai que leurs seules actions en matière de risques majeurs bien qu’elles aient toutes eu un rôle important dans le domaine de la santé et de l’environnement.
Michèle Rivasi : Une combattante implacable pour la reconnaissance des risques majeurs cachés
Un des plus grands déficits de crédibilité de l’Etat en matière de risques majeurs et en particulier de risque nucléaire tient à l’empreinte collective qu’a laissé la gestion de la catastrophe de Tchernobyl en France. Pour une grande part des français, l’Etat est coupable d’avoir caché la réalité des conséquences du nuage radioactif sur leur santé et leur environnement.
L’association CRII-RAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité) montra à cette époque que la réalité était tout autre. Michèle Rivasi, alors présidente de l’association, monta au créneau dans les médias pour faire connaître les résultats de ses mesures radiologiques. Par la suite, elle participera à renforcer les moyens de cette association dont la qualité des mesures radiologiques en fait un des acteurs indépendants des plus reconnus au niveau mondial.
Une autre action d’envergure de Michèle Rivasi dans le domaine des risques majeurs tient à sa volonté de protéger les lanceurs d’alerte. Dans le domaine des catastrophes, tout bon gestionnaire de crise doit reconnaître les signaux faibles indiquant qu’une catastrophe est susceptible de se produire. Parfois ces signaux faibles passent par la voix de nos concitoyens qui tentent de nous interpeller sur la dangerosité de certaines pratiques pour la population. Ces lanceurs d’alerte peuvent être des salariés du privé, des scientifiques, des administratifs ou plus largement tout citoyen confronté à des situations de gestion de risques ou de crises mettant en péril la santé ou l’environnement. Lorsqu’ils décident de communiquer à leur organisation, aux médias, à la population ou aux autorités les risques qu’ils perçoivent, ils s’heurtent à des pressions hiérarchiques, juridiques, psychologiques voir physiques et leur message n’arrive parfois pas aux autorités ou aux populations qui ne peuvent alors éviter la catastrophe. Ainsi, les crises se déclenchent ou continuent à se propager sans que nous le sachions.
Dans le domaine des risques majeurs, le nucléaire a été souvent mis sur le devant de la scène médiatique par les lanceurs d’alerte : CRIIRAD informant sur le nuage de Tchernobyl, salariés déclarant qu’il leur était demandé de falsifier les résultats de check-lists de sécurité, actions de Greenpeace visant à pénétrer des sites nucléaires pour montrer leurs vulnérabilités.
Michèle Rivasi et ses camarades du groupe Europe écologie – les Verts, qui défendent depuis longtemps ses lanceurs d’alerte, élaborent actuellement une loi visant à les protéger juridiquement tout permettant aux autorités la réception des messages d’alerte dont ils peuvent être porteurs. Cette volonté se traduit notamment par la mise en place d’une Haute autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte sanitaire et environnementale (HAEA), unique en Europe, constituée d’experts indépendants, dont le rôle sera de vérifier les alertes, d’informer les autorités et de protéger les lanceurs d’alerte, ces derniers ayant en retour une obligation de confidentialité. Les lanceurs d’alerte de mauvaise foi seront exposés à des peines pénales et des amendes pouvant aller jusqu’à 15000 €. Si cette loi voit le jour, des salariés d’entreprise à risques technologiques pourraient saisir cet organisme quand des procédures de sécurité ne sont pas respectées dans leurs établissements. Cependant, le projet de loi n’évoque pas la question des risques naturels. Qu’adviendrait-il si un riverain de fleuve en zone inondable saisie la HAEA pour des digues mal-entretenues ? Sincèrement, je ne sais pas y répondre et peut être que des amendements seront nécessaires.
Quelque soit le résultat final de cette loi, Michèle Rivasi a le courage de porter jusque dans les assemblées de la République cette question importante de l’alerte citoyenne et de tenter de la protéger.
Liens :
Page Wikipedia sur Micèle Rivasi
Article du Monde : Protégeons les Irènes Frachon de demain
Projet de loi sur les lanceurs d’alerte et la HAEA
Corinne Lepage : Une avocate humaine aux côtés des sinistrés contre les puissants
Tantôt située au centre droit, tantôt au centre gauche, Corinne Lepage n’est pas une femme de parti mais une femme indépendante et démocrate, à la conscience environnementale aigüe. Après s’être heurtée aux difficultés de la gouvernance en tant que Ministre de l’Ecologie, souvent marginalisée dans les décisions finales, notamment sur la filière nucléaire, elle a réussit à obtenir la fermeture de la centrale nucléaire au plutonium Superphénix au prix d’une éventuelle démission de son mandat. Tout comme Michèle Rivasi, Corinne Lepage est une anti-nucléaire convaincue et milite pour une transition énergétique rapide, créatrice d’emplois.
Position de Corinne Lepage sur l’énergie nucléaire :
Du côté des risques naturels et environnementaux, l’action de Corinne Lepage se mène devant les tribunaux, aux côtés des sinistrés. Initiatrice du principe « pollueurs-payeurs », elle gagnera le procès contre la compagnie de transport américaine Amoco reconnue responsable du naufrage du pétrolier l’Amoco Cadiz. Elle ouvre ainsi une voie jurisprudentielle inédite au niveau mondial pour les collectivités victimes des pollutions graves des transporteurs maritimes. Dans le dossier de marée noire de l’Erika, après 13 ans de combat, la cour de cassation lui donne raison et reconnaît Total comme coupable des dommages causés aux collectivités locales, aussi bien au civil qu’au pénal. Son action juridique ouvre donc la voie à plusieurs jurisprudences inédites dans le domaine des marées noires.
En matière de catastrophes naturelles, c’est maintenant auprès des sinistrés de la Faute-Sur-Mer ou du Var et contre les maires et l’Etat qu’elle mène ses actions. Le rapport de la Cour des comptes sur la tempête Xynthia pointait la complaisance de la préfecture avec des élus locaux souhaitant développer l’urbanisation, dans des zones considérées comme à risques.
Sur ce dossier, elle opte pour une position qui peut créer la contre-verse mais qui reste fidèle aux souhaits des sinistrés dans leur ensemble : L’Etat et les maires sont responsables d’avoir permis l’installation de populations dans des zones à risques naturels. Par cette décision, tout sinistré doit être indemnisé plus largement que ce que propose le fond national Barnier de solidarité face aux catastrophes naturelles. Le cabinet d’avocats de Corinne Lepage souhaite que les individus qui ont subis un sinistre et qui veulent rester sur leur lieu de vie habituel puissent bénéficier non seulement de cette réparation des dommages mais aussi de mesures de la collectivité permettant la sécurisation des sites. Faut-il donc laisser des populations dans des zones hautement dangereuses même avec des mesures de mitigation de l’aléa ? Son rôle d’avocate n’est pas de se poser cette question mais de défendre la volonté et les intérêts des parties civiles. Les procès sont en cours d’instruction et les décisions qui aboutiront marqueront probablement la jurisprudence française de l’indemnisation des catastrophes naturelles.
Pour le bien de la collectivité, les succès juridiques engrangés par Madame Lepage devraient alerter les maires et les industriels sur les risques pénaux qu’ils encourent lorsqu’ils ne respectent pas la réglementation en matière de risques majeurs.
Liens :
Page Wikipédia de Corinne Lepage
Journal de France 2 du 9 avril 2010 sur la question de l’expropriation des Sinistrés de la Faute-Sur-Mer
Vidéo sur la procédure judiciaire à la Faute-sur-Mer :
Erika : Le Point – Les parties civiles saluent une victoire totale
Roselyne Bachelot-Narquin : Gouverner et anticiper face aux crises majeures
Son entrée au Ministère de l’Ecologie en mai 2002 se produit alors que la France est encore affectée par la catastrophe de l’usine AZF du 21 septembre 2001 et peu de temps avant les graves inondations du Gard. Par la loi de juillet 2003, dite « Loi Bachelot », elle arrive à redynamiser les dispositions de la loi de juillet 1987 et de la loi Barnier de 1995 sur l’information préventive des populations sur les risques majeurs. Ainsi le Document d’information communale sur les risques majeurs (Dicrim) et l’affichage réglementaire dans les Etablissements recevant du public sont des dispositifs qui commencent à être mis en œuvre plus de 10 ans après la parution de leurs décrets officiels.
Des outils d’information complètement inédits tels que l’information des acquéreurs et locataires de bien immobilier ou encore la pose obligatoire des Repère des plus hautes eaux connues ont été créés. Les industriels SEVESO ont eux aussi une obligation d’information des riverains sur les risques majeurs tous les deux ans. Enfin, au niveau de l’information préventive, cette loi posa également les modalités d’une gouvernance locale et participative autour des risques technologiques majeurs par la création des Clic (Commission locales d’informations et de concertation).
La loi Bachelot institue également les Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) qui ont pour but de réglementer l’occupation du sol dans les périmètres de danger des usines Seveso. Elle ouvre la voie à l’indemnisation des sinistres causés par les catastrophes technologiques issues des industries Seveso au titre du régime Catastrophe (assurance de solidarité nationale issue du fond Barnier vouée auparavant aux seules catastrophes naturelles). Les riverains proches des industries Seveso Seuil haut ont également le droit d’être indemnisés par l’Etat et les industriels pour quitter les périmètres de danger. Les dispositions de cette loi relative à la réduction du risque à la source des établissements Seveso (études dangers très strictes, fréquence prononcée des inspections) sont également allées beaucoup plus loin que celles décrites par les directives européennes Seveso.
Au pouvoir, Madame Bachelot-Narquin aura eu à gérer deux crises majeures qui auront suscité de nombreuses polémiques. Au cours de la parution de la loi de juillet 2003, la France connaît une canicule causant le décès de 15 000 personnes. En tant que Ministre de l’Ecologie, elle n’est pas au premier plan de la gestion de crise mais elle a plusieurs fois alerté les autorités sanitaires, les préfectures et les médias au sujet de l’exceptionnalité des pollutions enregistrées et prévues. Il aura néanmoins fallut attendre que l’alerte soit lancée dans les médias par l’urgentiste Patrick Pelloux pour que la violence de cette catastrophe apparaisse réelle aux yeux du gouvernement et du grand public.
Mission d’information sur la canicule de 2003
Devant cette carence avérée de l’Etat face à la plus grande catastrophe que la France ait connue depuis la guerre, c’est en tant que Ministre de la Santé, poste qu’elle occupa à partir de mai 2007, qu’elle aborda la pandémie du virus H1N1 de la grippe A en 2009. En application du principe de précaution (qu’elle a grandement participé à faire entrer dans la constitution française), elle prit alors toutes les dispositions nécessaires pour que nous fassions face à la pandémie (achats massifs de vaccins, organisation de crise, campagnes d’information…). La population française, patrie de Pasteur, se montre réticente à la vaccination et les centres temporaires dressés à cette occasion sont désertés (8,5% seulement de la population vaccinée). La crédibilité de l’Etat en matière de gestion de crise est, comme dans d’autres pays européens, au plus bas, et les rumeurs sur internet relatives aux effets secondaires du vaccin ou aux contrats mirobolants qu’aurait signés la Ministre avec l’industrie pharmaceutique ne font qu’accentuer cette tendance. Cependant une commission parlementaire demandée par l’opposition ne démontrera aucune collusion d’intérêts entre les représentants de l’Etat et l’industrie pharmaceutique et statura sur l’application du principe constitutionnel de précaution.
Le NouvelObs : 15 fois plus de décès de la grippe H1N1 qu’annoncé
Fort heureusement, alors que l’histoire du monde et de la France est marquée par de nombreuses pandémies, l’épidémie H1N1 de 2009 ne s’avérera pas aussi destructrice en vies humaines que celle de la grippe espagnole du début du siècle dernier ou que des pestes du Moyen-âge. Si cette crise avait été gravissime, Madame Bachelot-Narquin en serait certainement sortie comme une républicaine protectrice et prévoyante plutôt que comme une femme douteuse sur laquelle certains font peser le soupçon de la malhonnêteté. Madame Bachelot-Narquin a décidé de se retirer de la vie politique française.
Liens :
Page Wikipédia su Roselyne Bachelot-Narquin
Projet de loi sur la prévention des risques au journal de France 3
Conclusion
Combatives, humaines et fidèles à leurs engagements politiques en faveur de notre protection, toutes ses femmes participent à leur manière à la durabilité de nos territoires et à notre résilience face aux catastrophes majeures. De bords politiques pourtant différents, c’est par leur humanisme qu’elles nous sont communes. Et c’est de cet humanisme et non d’élitisme ou de corporatisme que notre République a le plus besoin, sans quoi, le contact entre l’Etat et les citoyens sera durablement perdu, au grand dam de notre résilience collective.