Cela faisait déjà plus d’un an que je m’intéressais à distance aux actions de résilience sur les médias sociaux au Sénégal à travers les initiatives des communautés comme Sunucause (solidarité via les médias sociaux), OpenStreetMap (cartographie libre et notamment cartographie des inondations à Dakar) ou encore de Jokkolabs (et son volet d’initiatives citoyennes de changement social à travers les nouvelles technologies).
Après n’avoir pas pu répondre positivement aux invitations de présentation des MSGU (Médias sociaux en gestion d’urgence) au HCFDC (Haut Comité Français à la Défense Civile) lors d’une émission consacrée aux « blogs et la gestion de crise » ainsi qu’à une invitation d’intervention au colloque les Irisés (Forum d’information sur les risques majeurs, éducation et sensibilisation) du Ministère de l’Ecologie, c’est lors d’un voyage personnel l’été dernier au Sénégal que je suis venu partager, pour la première fois publiquement, la vision des approches en gestion d’urgence que nous construisons avec la communauté internationale francophone des MSGU.
Jokkolabs : le hub idéal pour introduire les MSGU à Dakar
Dès mon arrivée à Dakar, je me suis dirigé tout naturellement vers Jokkolabs pour des raisons techniques de continuité d’activités professionnelles pendant ces 2 mois au Sénégal mais aussi pour y trouver un lieu de socialisation et en savoir plus sur les approches sénégalaises liées aux MSGU. Après une discussion très intéressante sur les objectifs de Jokkolabs avec Emmanuelle (l’animatrice de communautés ci-dessous) et Karim Sy, décision est prise d’utiliser l’espace de conférence pour introduire les MSGU sur Dakar. Devenu membre de Jokkolabs, je pouvais m’enrichir des compétences de chacun des membres et cette intervention représentait l’occasion d’offrir ce que je savais en retour.
La manière dont Emmanuelle a mobilisé sa communauté autour de la diffusion de ce projet a été exemplaire et très instructive. Non seulement, elle a utilisé les médias sociaux et autres lettres d’information pour diffuser l’événement mais elle a aussi pris des contacts directs avec des personnes ciblées par messageries instantanées, n’hésitant pas à les relancer et à répondre à leurs questions sur cette intervention et nouvelle discipline. Elle me demandait en retour de lui trouver des documents introductifs, des articles clefs, des guides pour alimenter les questions qui arrivaient avant même l’événement. Elle cherchait par tout média social à informer de manière personnalisée et à s’assurer de la venue à cette présentation des personnes les plus à même d’être intéressées par la manifestation. Enfin et surtout, une grande partie des membres de la communauté Jokkolabs se sont mis à amplifier l’annonce de la manifestation, notamment en présentant l’événement sur la couverture de leur profil Facebook pendant des semaines ou en incitant à la venue de leur audience par des messages personnalisés sur leurs profils.
« 3 heures d’intervention, c’est long, il faudra être en interaction constante avec le public, les faire participer » me dit assurément Emannuelle. Elle mobilisa alors Basile Niane de Sunucause et Awa Dhia d’OpenStreetMap pour qu’ils expliquent et partagent leurs approches d’utilisation des médias sociaux sur les inondations de Dakar lors de cette présentation. De mon côté, je demande à mon ami Aboubacar Sadikh Ndiaye, formateur en « social media » et consultant en marketing 2.0 à Dakar, de venir et d’y intervenir. Au total, 30 personnes s’étaient inscrites sur EventBrite (média social d’organisation d’événement) et 25 personnes seront finalement présentes, venant d’horizons divers (blogueurs et CM, Telecom, développeur, journaliste, médecin, formateurs risques majeurs, associatifs…).
Je vous propose ici de découvrir ma présentation animée :
Quelques médias sur l’événement :
Basile Niane de Sunucause
« Avec les réseaux sociaux on peut informer mais aussi on peut aider »
https://www.facebook.com/mamadou.ndiaye.182940/posts/706982225985713
Awa Dia d’OpenStreetMap Sénégal
OpenStreetMap : Comment s’organise la communauté en cas d’urgence ?
https://www.youtube.com/watch?v=DqrWBjAy7dg&feature=youtu.be
Mamadou Ndiaye de Social Net Link :
MSGU : Les médias sociaux peuvent sauver des vies selon le consultant Cédric Moro
Eric Bernard de MESODEV :
Au secours ! Les médias sociaux en situation d’urgence.
http://www.mesodev.net/Au-secours-Les-medias-sociaux-en
Aboubacar sadikh NDIAYE – spécialiste des medias sociaux : « le web 2.0 et les medias sociaux sont de véritables outils de communication publique 2.0, incontournables dans la gestion des urgences pour les citoyens globalement mais pour les riverains en particulier, car se préoccupant d’abord du local avant de s’intéresser au national. »
La création d’une communauté MSGU au Sénégal
Les contacts emails des personnes présentes avaient été pris lors de l’intervention, complétés par ceux remplis dans EventBrite. Nous en profitons donc pour lancer un courriel les invitant à une première réunion en vue de la création (éventuelle) d’une communauté MSGU au Sénégal. Judith de Jokkolabs doublera ce courriel d’un envoi de SMS personnalisés pour avoir les confirmations. Afin d’en savoir plus sur les profils dont la communauté pourrait disposer, il leur a été proposé de remplir une enquête sur un formulaire Google.
Contrairement à l’Europe ou l’Amérique du Nord, les membres intéressés par les MSGU sont avant tout actifs sur Facebook et dynamiques dans les médias sociaux comme Twitter et les blogs, ce qui est un avantage puisque les autorités sont peu présentes sur Twitter alors que la population connectée est massivement présente sur Facebook.
8 personnes seront présentes à cette réunion, un samedi en soirée (1 enseignant-chercheur, 2 journalistes-blogueurs, 1 médecin et formateur risques majeurs, 2 animateurs de communautés, 2 associatifs…). Plusieurs intervenants y expriment des problèmes locaux de risques majeurs (zones à risques d’accidents Seveso autour de Dakar, inondation et érosion à Saint Louis, écroulements d’immeuble…).
Natacha Seck propose alors de créer des outils pour partager nos connaissances et actualités à savoir : un groupe privé sur Facebook, un mot-dièse #msgusn et une liste de diffusion par email.
Les premières interventions MSGU de la communauté
Il s’avère que lors de cette réunion, Dakar était confrontée depuis 4 jours déjà à une coupure d’eau affectant une grande majorité des quartiers. Cette pénurie dura finalement de 3 à 4 semaines, selon les zones. A la deuxième semaine, la situation apparaît comme critique : des médecins d’hôpitaux alertent les médias sur la pénurie d’eau qui les affectent, des puits à la salubrité douteuse sont creusés ou réouverts par la population et certains médecins de districts communiquent sur ces conditions sanitaires dangereuses. De longues files d’attentes sont visibles à tout endroit de la capitale et le mécontentement est grand. Des craintes de dégradation des conditions sanitaires se précisent, des cas de maladies émergent et la communauté sénégalaise du web 2.0 se mobilise alors pour tenter d’y apporter une réponse.
La blogosphère sénégalaise se met alors en veille informationnelle active sur le sujet et propose des actions. Les mots-dièse #EauSecours et #EauSolution sont créés et réutilisés sur les principaux médias sociaux pour rendre compte de la situation et proposer des réponses. Une cartographie interactive sur la localisation des pénuries et des accès à l’eau se créée.
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130926171926/#.UkRZF8UJiBE.twitter
Un des projets les plus intéressants naitra d’un membre de Jokkolabs, Ludovic Lima, qui propose, à travers une application FaceBook #sEAUlidaire, que toute personne de Dakar puisse partager son eau ou déclarer un besoin dans ce domaine. Les échanges y sont nombreux et fructueux pour les personnes dans le besoin et se traduisent par une solidarité sur le terrain.
https://www.facebook.com/ludovic.lima/posts/10152224542617678
La toute nouvelle communauté MSGU développe alors ses premières interventions (veille et monitoring de la situation, consignes sanitaires autour de la consommation d’eau, appui en visibilité des actions résilientes).
Un deuxième événement viendra marquer les premiers pas en communication d’urgence sur les médias sociaux de la communauté : un accident de transport de matières dangereuses à Bargny :
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Tout commence lorsque je suis alerté sur Facebook par mon ami Aboubacar Sadikh Ndiaye sur l’accident d’un transport de produits chimiques à Bargny à travers la mention de mon nom sur une de ses publications qui fait alors sonner mon compte Facebook. Il me met alors en contact avec la page Facebook d’Ibra Seck Cassis, présent sur place et qui a la bonne idée de mettre sa publication ouverte au public.
Les riverains sont inquiets sur l’éventuelle dangerosité du produit. Racine Gueye, médecin et formateur risques majeurs et moi-même activons nos réseaux pour connaître la nature du produit (Racine arriva à la déterminer précisément : de l’acide phosphorique) et donner aux riverains connectés depuis la zone impactée des consignes sanitaires et ressources relatives face à ce produit. Ces consignes ont été issues de consignes officielles sur ce produit disponibles sur internet.
http://www.cchst.ca/oshanswers/chemicals/chem_profiles/phosphoric.html
Ibra Seck Cassis pris ensuite des photos de l’accident après s’être rendu compte de la situation sur place.
Des membres de VISOV (Volontaires internationaux en soutien aux opérations virtuelles) relaient alors les consignes d’urgence.
#Sénégal Ecoulement d’acide phosphorique à #Bargny (#Rufisque). Ne consommez pas l’eau des puits, sols pollués #EauSecours #Sunudokh #Msgusn
— Cédric Moro (@Moro_Cedric) September 30, 2013
Quelques heures plus tard, sur Twitter, nous nous rendons compte que des habitants du quartier avec lesquels nous n’étions pas en contact reprennent la consigne de ne pas consommer l’eau des puits. Sur Facebook, des habitants de Bargny indiquent qu’ils ont informé leurs proches de la situation. L’information d’urgence a donc fait son chemin, des médias sociaux vers les quartiers.
Conclusion
Ces deux événements traduisent les bases de la communauté MSGU au Sénégal. La blogosphère, implantée localement, veille les événements de l’actualité sénégalaise et informe sur les situations d’urgence. De plus, elle mobilise ces réseaux pour entreprendre des actions de résilience comme lors de la pénurie d’eau.
Vu que les autorités sont largement absentes des médias sociaux ou ont une vision auto-centrée de leurs communication 2.0, la stratégie d’implantation des MSGU passe avant tout ici par les communautés citoyennes et connectées du Sénégal.
Ainsi, lors de la dernière rencontre (Ndadjetweetup) de cette communauté à la résidence de l’ambassadeur des Pays Bas, Racine a présenté les MSGU à toute la communauté, ses objectifs et ses méthodes.
Si nous devions passer qu’un seul message à la blogosphère sénégalaise à travers cet article, ce serait de ne pas mélanger la communication d’urgence avec la communication de crise. Quelque soit l’injustice de la catastrophe que vous avez en face de vous, tant que le temps de l’urgence n’est pas terminée, la priorité est de se focaliser sur le secours et l’assistance aux personnes exposées et sinistrées. Le temps de la communication et de la gestion d’urgence est celui des MSGU. Ensuite vient le temps de parler des responsabilités juridiques, morales et politiques, de la dégradation de l’image de l’organisation, de ses pertes d’exploitation liées à l’accident…. c’est alors le moment de la communication de crise. Repousser le temps de la communication de crise au profit de celui de la communication d’urgence, c’est donner le maximum de chances et de soutiens aux personnes en danger.
Remerciements à Natacha, Emmanuelle, Aboubacar et Racine pour leurs conseils lors de la relecture de cet article.